Planification

Prévisions, dimensionnement, planification : les pièges à éviter

22 avril 2020

Nous avons abordé dans nos précédents billets les enjeux de l’établissement de prévisions de flux de contact, ainsi que les modalités de mise en oeuvre.

Donnons maintenant la parole à un spécialiste de ce domaine méconnu et pourtant essentiel à la qualité de l’expérience client, Rémy Tappero

Rémy, peux-tu te présenter rapidement, ainsi que ton parcours ?

Je travaille dans le domaine de la planification des ressources depuis une vingtaine d’années, ce qui m’a permis de développer une forte expertise dans la conception et la mise en œuvre de modèles de prévision, dimensionnement et planification d’activités. J’ai pu développer une méthodologie de travail efficace auprès de différents acteurs dans le monde de la relation client mais aussi dans l’industrie ou la logistique et d’une manière plus générale, lorsqu’une problématique d’organisation et de gestion des ressources émerge au niveau des opérations.

Comment devient-on un praticien de la planification ?

Dans les faits il n’existe pas réellement de formation sur ce métier. On y vient souvent par hasard et on se forme sur le tas (même si j’ai un doctorat en statistiques). J’avais d’ailleurs moi-même pensé à monter un cycle de formation sur le sujet (en passant par un dispositif de Validation des Acquis de l’Expérience), mais cela impliquerait de le rattacher à une formation académique donnée, et le métier est vraiment très spécifique.

C’est une fonction accessible à tous ?

Oui. Je dirais que l’important est d’avoir de fortes capacités analytiques, le goût des chiffres, et surtout la connaissance ou l’envie de comprendre le fonctionnement de l’organisation dans laquelle on évolue. Il n’est pas forcément nécessaire d’être statisticien : beaucoup de rigueur et surtout du bon sens permettent d’avoir une approche cohérente sur ces problématiques.

Quelles sont les difficultés que tu as pu rencontrer dans l’exercice de tes fonctions ?

Je dirais que trop souvent les entreprises ne se préoccupent réellement du sujet que lorsqu’elles sont en situation de crise - ce n’est jamais trop tard, car on apprend beaucoup dans ces périodes-là, mais bien sûr il est plus facile de conduire le changement d’organisation associé à la mise en place d’un modèle donné en anticipant. Je suis d’ailleurs fan d’un des célèbres adages de Léonard de Vinci : « Ne pas anticiper, c’est déjà gémir ».

Justement quels sont les facteurs de succès d’un bon dispositif de prévision des flux et de planification des ressources ? Quelles sont les erreurs à ne pas commettre ?

Il faut viser la simplicité et la flexibilité. Avec l’arrivée de l’omnicanal et l’évolution rapide des comportements clients, les modèles de prévision et de planification se sont extrêmement complexifiés. Les événements externes et internes sont potentiellement si nombreux qu’il est de toute façon devenu impossible d’établir des prévisions très précises. On est finalement obligé de revisiter les modèles quasiment en continu. Je dirais donc - et les événements récents l’illustrent à nouveau - qu’il faut privilégier l’agilité du modèle pour être en mesure de l’ajuster facilement plutôt que de s’efforcer de créer un modèle complexe qui ne sera que très rarement en phase avec la réalité.

Un autre élément clé : la capacité de l’organisation à analyser les données disponibles. Il faut systématiser les phases de retour d’expérience (ce que j’appelle le post-mortem). Trop souvent les personnes en charge sont happées par l’opérationnel (la production des plannings, des reportings, le suivi de l’activité etc.) et "oublient" de se poser pour prendre le temps de réfléchir et d’ajuster le modèle, alors que c’est la clé de l’efficacité. Analysez vos performances et comparez-les à ce que vous aviez prévu, et enrichissez votre modèle avec ces observables.

Par ailleurs, on ne peut pas uniquement répondre aux contraintes de production. Une planification n’est efficace que si elle est comprise et acceptée par ceux qui la vivent. Il est plus judicieux de fixer un cadre, de donner de la visibilité aux collaborateurs sur leurs plannings et les changements qui peuvent éventuellement intervenir (et donc préserver les conditions de travail des collaborateurs, qui pourront donner le meilleur d’eux-mêmes).

En effet, mais n’est-il pas difficile de concilier les objectifs de productivité et le bien-être des collaborateurs ? Peux-tu nous rappeler les variables d’ajustement ?

Bien sûr, une réponse "simple" pour les centres intégrés et de faire appel à un prestataire de relation client. Mais il existe aussi d’autres marges de manœuvre comme par exemple :

  • la répartition entre les différents canaux (il est possible de maximiser la productivité globale d’un plateau en affectant des flux froids, comme le mail et le courrier par exemple, sur des périodes moins chargées - cela suppose cependant de cultiver la polyvalence des collaborateurs - et d’arbitrer entre les différents flux),
  • une flexibilité temporaire au niveau des heures d’arrivée et de départ des collaborateurs,
  • la réaffectation de flux de contact spécifiques à des collaborateurs initialement positionnés sur des activités à plus forte disponibilité,
  • l’étude des comportements clients pour adapter la présence des collaborateurs (ce qui peut par exemple permettre de fermer la hotline 30 minutes plus tôt le vendredi soir),
  • on peut aussi mettre en place des modèles de planification en fonction d’autres critères, comme l’ancienneté, la performance, les contraintes personnelles etc.

En résumé, l’enjeu est de trouver le meilleur compromis possible.

Que penses-tu de certaines initiatives innovantes aujourd’hui en termes de prévision et planification ? Par exemple les pratiques de "self planning" (quand les collaborateurs définissent eux-mêmes collectivement les plannings sur la base de contraintes associées aux prévisions) ?

J’ai eu l’occasion d’expérimenter moi-même ce type de dispositif, notamment dans le cadre d’une activité d’appels sortants (ce qui rend sa mise en musique plus facile). Les résultats sont probants, le gain de performance (productivité individuelle, résultats, satisfaction clients) et l’augmentation sensible de la motivation et de la satisfaction des collaborateurs faisant plus que compenser les pertes de flexibilité liées à l’assouplissement des règles.

En effet, de mon expérience cela peut aussi marcher sur des activités d’appels entrants, mais dans tous les cas cela suppose de s’appuyer sur des managers experts, capables d’assumer un leadership différent auprès des équipes et de les associer à la prise en compte des contraintes issues des modèles de prévision.

Tout à fait, la flexibilité et l’autonomie n’excluent certainement pas le pilotage. En associant les collaborateurs, en étant pédagogue on obtient l’adhésion. Mais ce genre de pratiques est forcément plus difficile à mettre en place sur des organisations de plus grande taille. Il est aussi important de se réinventer en permanence, y compris dans ces modèles, car la routine a tendance à atténuer les effets des bénéfices.

Un mot de conclusion ?

Une anecdote en guise de conclusion : un jour j’ai été sollicité par un collègue qui avait de gros soucis d’atteinte d’objectifs sur une activité de plus de 1000 personnes et il n’en comprenait pas la source. Sa prévision était pourtant d’un très bon niveau de précision, son modèle de planification d’une adhérence parfaite avec les flux d’activité et les indicateurs structurants pris en hypothèse de calcul étaient conformes à la réalité. Après quelques heures d’investigation, on s’est rendu compte que près de 15% de l’effectif qu’il planifiait avait quitté l’entreprise depuis plusieurs mois… Il est important d’avoir des process de suivi des effectifs très rigoureux pour éviter d’avoir ce genre de mésaventure.

Merci Rémy

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Image par annca de Pixabay